9 mai 2020

La honte et le chagrin : la gouvernance des CHSLD québécois

Yvan Allaire, Caroline Cambourieu et Mihaela Firsirotu | Publié dans La Presse +

La population du Québec attend encore ce jour où l’on pourra véridiquement prétendre que le patient est maintenant au centre des préoccupations et des décisions partout dans le système de santé.

Les témoignages s’accumulent, les reportages se multiplient. Le sort fait aux personnes en CHSLD au Québec est honteux. Certains intervenants, bouleversés par ce qu’ils et elles ont observé, ont crié au génocide gériatrique. Que dire de l’insoutenable chagrin des familles qui savaient qu’un des leurs se mourrait seul en CHSLD!

Il faudra bien tirer cette situation au clair, identifier les responsables et prendre les mesures pour que plus jamais cela ne se répète.

Les faits sont pénibles et accusatoires :

  • Rappelons-le : au Québec en date du 6 mai plus de 90 % des personnes décédées des suites du Covid-19 étaient âgées de 70 ans et plus (74 % pour les 80 ans et plus); près de 80 % des décès sont survenus en CHSLD (62,9 %) et dans les résidences pour personnes âgées (RPA-16,7%). Cela était prévisible; l’expérience chinoise démontrait en février 2020 que les personnes de 70 ans et plus représentaient 78% des décès !
  • Des centaines de personnes âgées, fragilisées, hospitalisées, transférées des hôpitaux vers des CHSLD et d’autres milieux d’hébergement afin de libérer des milliers de lits destinés à soigner les éventuels patients atteints de la COVID-19 (mais qui furent en grande partie superflus durant les premières semaines de la crise).
  • Selon une source récente, en 2018-2019, soit avant le début de la pandémie, les équipes de soins de base disponibles en CHSLD répondaient seulement à 71 % des besoins en assistance et en soins des résidents (Cirano, avril, 2020).
  • Sur une période de 10 ans (2010 à 2019), le nombre des infirmiers, infirmiers auxiliaires et préposés aux bénéficiaires n’a augmenté que de 13,2 % (105 330 à 119 241). Pendant le même temps, le nombre d’employés du Ministère (MSSS)  fonctionnaires, professionnels, cadres) a cru de 46 % passant de 800 à 1 168 et les effectifs de médecins et résidents rémunérés par la RAMQ ont augmenté de 22,3% (passant de 20 407 à 24 953) et leur rémunération totale faisait un bond de 70 %.
  • Le manque criant de ressources humaines en CHSLD a fait en sorte qu’on ait recours à des mesures qui ont contribué à la propagation de la maladie : des équipes volantes de soins infirmiers qui partagent leur semaine de travail entre plusieurs installations (CHSLD et autres types d’installations,); un roulement constant d’un personnel démotivé et exténué; des équipes de soins infirmiers sans cesse remodelées; un taux d’absentéisme anormalement élevé; un manque criant de préposés aux bénéficiaires et d’infirmières; un personnel dont les compétences et aptitudes sont inadaptées aux besoins des personnes fragilisées, etc. Il faut maintenant faire appel l’armée canadienne!
  • En conséquence, non seulement le Québec compte-t-il plus de la moitié des décès au Canada mais le taux de décès dans les établissements de soins de longue durée québécois est trois fois supérieur à l’Ontario et plus de dix fois supérieurs à la Colombie-Britannique pour les établissements équivalents. Pourquoi ?

La cause tient tout probablement de l’organisation et de la gouvernance du système de santé québécois.

L’organisation du système

Au fil des réformes du système de santé québécois mises en place depuis le début des années 2000, les CHSLD publics ont écopé durement. Ils ont perdu successivement leurs conseils d’administration, leur direction générale et leur autonomie de fonctionnement. En conséquence de la loi 10 modifiant la gouvernance du système, les CHSLD sont passés d’un statut d’établissement de santé autonome à une installation, « lieu physique où sont dispensés les soins de santé et les services sociaux à la population du Québec » (Glossaire, MSSS, janvier 2016).

Commettant une énorme erreur, cette réforme imposa au réseau une structure « matricielle », comportant un chassé-croisé de responsabilités fonctionnelles et d’autorité décisionnelle. Ce genre de structure discréditée dans le secteur privé depuis la fin des années ’70 distribue l’autorité décisionnelle entre plusieurs fonctions, chaque cadre relevant de plusieurs « supérieurs » selon les sujets et les décisions.

Selon ce type d’arrangements, par exemple, les CHSLD ne comptent pas de Directeur ou Directrice générale sur place avec des responsabilités d’ensemble. Chacun des CHSLD publics compte sur un chef d’unité (cadre intermédiaire), dont il est difficile de cerner précisément les responsabilités et tâches.

Ce chef d’unité relève de différentes directions réparties sur plusieurs sites physiques souvent éloignés. Ce chef d’unité est chapeauté par un coordonnateur de l’hébergement qui s’occupe de 2 CHSLD. Ce coordonnateur est sous la responsabilité de cadres supérieurs occupant 4 paliers hiérarchiques distincts (directeur adjoint de l’hébergement, directeur du programme de soutien autonomie des personnes âgées (SAPA), directeur général adjoint programmes sociaux, PDG).

Pour toute démarche, il faut prendre en compte le lien fonctionnel entre le directeur adjoint de l’hébergement et le coordonnateur médical de l’hébergement. À ces liens hiérarchiques et fonctionnels s’ajoute « une cogestion clinico-administrative et médicale de type transversal » (?).

Ajoutons l’omniprésence du Ministère avec ses règles, ses politiques et ses contrôles multiples et tatillons.

C’est ainsi qu’on aboutit à des organigrammes d’une effarante complexité pour les CISSS et les CIUSSS, une dilution des responsabilités et une lenteur pathologique dans la prise de décision.

Puis arriva une pandémie dans ce système kafkaïen!

Que faire ?

Une fois cette crise passée, il faudra en faire l’autopsie pour bien comprendre les pathologies qui sournoisement avaient vulnérabilisé le système. La liste des mesures correctrices sera longue mais leur implantation essentielle et urgente.

Un aspect sera toutefois incontournable. Il faut redonner aux unités de soins, dont les CHSLD (autrefois appelés des établissements) une direction générale sur place avec la latitude décisionnelle appropriée et les moyens pertinents. Il ne s’agit pas de refaire une autre réforme du système mais de remettre les responsabilités aux bonnes places.

Les propos de ce texte n’engagent que les auteurs.